Un film d’Avi Nesher. Israël, 2010.
Avec Adir Miller, Keren Dror, Maya Degan, Dov Navon, Elie Yitspan, Toval Sapir, Neta Porat, Yarden Bar Kochva, Bat-el Faafora, Kobi Frug, Yael Levaventel, Tam Gal, Eyal Shechter
Inspiré de l’histoire de Meïr Gutfreund : ‘Pour elle les héros s’envolent’.
Paam Haïti - Autrefois j'étais |
« Autrefois j’étais »[1], en anglais ‘Once I was’ est le titre d’un album de Tim Buckley, sorti en 1968. Le choix n’a pas été laissé au hasard puisque c’est de l’été 68 dont il est question ici. La scène se passe à Haïfa entre les hauteurs du Mont Carmel et les quartiers populaires du bas de la ville. Mais dans la plus européenne des villes israéliennes, on ne trouve alors pas de révolution, pas de manifestation dans les rues, et pas de sit -in sur les campus. On n’est ni en Californie, ni sur les bancs de la Sorbonne. Israël n’est ni l’Amérique, ni la France.
Et pourtant malgré le souvenir de la toute proche guerre des Six jours un an plus tôt, la vie à Haïfa suit son cours. Une vie faite d’amour, de mystère et de souvenirs. Surtout pour Arik, ce jeune adolescent du Carmel qui se fait engager comme apprenti par Yenkelé Breid, un vieil ami de son père, directeur d’une agence matrimoniale. Aventure singulière pour lui que de descendre chaque jour des beaux quartiers pour retrouver le Haïfa des prostituées et des nécessiteux. Au milieu d’un environnement un peu particulier, le cinéma du quartier et sa caissière naine à la recherche de l’amour, les passants arabes et la jolie cousine des voisins qui lui tourne autour, le jeune garçon enquête sur de potentiels fiancés, amène de nouveaux clients et découvre les dessous d’un monde qu’il ne connaissait pas. Il grandit, il change, comme le monde, comme Haïfa.
En outre, avec l’amour et les relations humaines en son centre, le film fait aussi œuvre d’histoire. Une histoire curieusement un peu oubliée. Celle des difficultés vécues par les rescapés de la Shoah avant les années 70, marqués par la peur. Yenkélé est un homme mystérieux, comme l’est Clara, cette amie qu’il aime profondément et qu’il désire depuis tant d’années mais qui ne parvient plus à se donner à un homme depuis la guerre. Subtilement, le réalisateur nous suggère et nous laisse deviner ce que l’un comme l’autre ont pu subir sous le joug des nazis. D’autant que la société israélienne, elle aussi, a beaucoup de mal à les comprendre, à les accepter, à les intégrer. Alors que quarante ans plus tard, la question de la Shoah a pris une toute dimension, se déclinant en dans des domaines des plus divers et des plus étonnants dans une nouvelle idéologie du ‘Tout Shoah’ (voir à ce sujet notre étude : http://mishauzan.over-blog.com/article-shoah-shoah-shoah-51849500.html ) il est intéressant de rappeler que les choses n’en ont pas toujours été ainsi. Edifié autour de symboles d’héroïques pionniers, l’Etat d’Israël a longtemps perçu ces Juifs comme des gens qui se sont laissés abattre « comme des moutons », selon l’expression consacrée, tandis que nombre de rescapés étaient pris pour des traîtres ou des kapos. Les choses ont lentement évolué et le procès Eichmann en 1961 est considéré comme un premier tournant dans la compréhension de la Shoah[2], tournant par la suite accentué et approche du phénomène totalement transformée (voire inversée). Les choses sont restées néanmoins difficilement compréhensibles pour toute une génération. Sans être au centre de l’histoire, le film souligne avec émotion les réactions des uns et des autres.
Avec ‘Autrefois j’étais’, Avi Nesher nous plonge dans un monde qui n’est plus et nous raconte une belle histoire, une histoire triste, et une histoire d’amours. Un joli film qui nourrit un cinéma israélien toujours plus créatif et agréable à regarder.
Diplômé de Sciences Po et spécialisé en histoire contemporaine, l’auteur a notamment travaillé les questions de mémoire et les grandes questions de l’historiographie de la seconde moitié du vingtième siècle.
Voir son blog : http://mishauzan.over-blog.com
[1] La traduction, approximative, est la mienne (Misha Uzan)
[2] Voir à ce sujet, Annette Wieviorka, Le procès Eighmann : 1961, Bruxelles : Editions Complexe, 1989
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